« Ce n'est pas vous, c'est la fréquence » : les raisons de l'abandon des filtres à constantes localisées

Pour de nombreux étudiants en génie électrique d'un certain âge, les cours de licence sur la conception de filtres étaient à la fois un rite de passage et un entraînement intensif. Si une petite minorité d'élèves se délectait des concepts complexes et des équations poussées, ce n'était pas le cas de la plupart d'entre eux, qui avaient hâte de se débarrasser de l'analyse rigoureuse des nombreuses topologies de filtres (tels que les filtres de Sallen-Key, de Tchebyshev, de Butterworth, de Bessel, les filtres elliptiques [filtres de Cauer], biquad, Pi, en T et gaussiens), des types de filtres (passe-bas, passe-haut, passe-bande) et de l'ordre des filtres (Figure 1). À ces topologies s'ajoutaient leurs attributs, comme l'atténuation, l'ondulation dans la bande et hors bande, la bande passante, la bande coupée, le point à -3 décibels (dB), le point à -20 dB, le déphasage, le facteur Q, et plus.

Figure 1 : Les filtres sont bien plus que ces simples graphiques de réponse en fréquence (fonction de transfert) des conceptions passe-haut, passe-bas et passe-bande. (Source de l'image : Quora)

Certains cours abordaient même les filtres actifs, ce qui ouvrait la voie à une autre dimension, mais entraînait de nouveaux défis d'analyse. D'autres présentaient aussi les filtres numériques et leurs algorithmes à réponse impulsionnelle finie (RIF) et à réponse impulsionnelle infinie (RII), qui implémentent les fonctions classiques des filtres analogiques et fournissent également un filtrage qui ne peut pas être réalisé avec des composants physiques.

En réalité, les filtres étaient souvent considérés comme un mal nécessaire, car il était impossible de s'en passer pour réaliser une conception de chaîne de signaux. Mais souvent, ils étaient également difficiles à utiliser. En raison de leur importance, il existe un nombre incalculable de documents liés aux filtres, du simple guide pratique au long manuel, en passant par d'obscurs articles universitaires, et d'autres encore, qui traitent de la théorie, de leur construction, de leur utilisation et des tests.

Montée en gamme

Toutefois, les temps ont changé, la conception technique et la fabrication ont évolué et, plus important encore, les fréquences et le spectre sont montés en gamme. Bien que le filtre analogique classique, composé d'un ensemble d'inductances, de condensateurs et parfois de résistances (généralement appelé filtre à constantes localisées ou à éléments discrets) soit toujours d'actualité, la place qu'il occupe dans l'esprit des concepteurs a considérablement diminué.

Il y a deux raisons à cela. Tout d'abord, si vous avez bel et bien besoin d'un filtre analogique, il n'est généralement pas nécessaire d'en concevoir un en partant de zéro, car il existe de nombreux outils logiciels qui permettent de spécifier les paramètres souhaités pour obtenir un schéma, une nomenclature et des graphiques de performances détaillés. Certains outils permettent même de spécifier la tolérance des composants ainsi que les coefficients de température, et d'obtenir une analyse du pire scénario. Il n'est pas nécessaire de connaître, de comprendre ou d'analyser ces équations classiques complexes.

La deuxième raison est due aux lois de la physique. Lorsque les fréquences d'intérêt atteignent des centaines de mégahertz, les parasites inévitables associés aux filtres à éléments discrets compromettent la précision et la répétabilité de la conception. Le moindre changement dans la fabrication des composants, leur placement ou leur longueur d'interconnexion, aussi infime soit-il, aura un impact majeur sur les performances du filtre. S'il est possible de concevoir, de tester et de valider un modèle de filtre pour ces fréquences plus élevées (Figure 2), il est audacieux ou insensé (ou les deux) d'essayer de le faire pour une production de volume.

Figure 2 : Ce filtre RF à constantes localisées est unique en son genre. Il est difficile de le produire en masse en garantissant des performances constantes. (Source de l'image : www.qsl.net/kp4md)

Où est donc passée la conception de filtres « classiques » dans le cursus de génie électrique ? J'ai procédé à une analyse non scientifique des programmes de diverses universités publiques et privées, et j'ai constaté que les cours introductifs exclusivement consacrés aux filtres avaient largement disparu. À la place, la question des filtres est réduite à un aperçu élémentaire des classes de filtres basiques et de leurs rôles, mais uniquement dans le cadre d'autres cours portant sur le traitement des signaux.

Adieu, constantes localisées

Tandis que les fréquences des conceptions grand public dépassent les centaines de MHz et atteignent la plage des gigahertz (GHz) pour des applications comme les smartphones, les limites du filtre à constantes localisées deviennent accablantes. Mais pas d'inquiétude : une innovation utilisant une approche de filtrage très différente a grandement résolu ce problème, du moins pour le moment. Les dispositifs SAW (à ondes de surface), comme le SF14-1575F5UUA1 de Kyocera, sont fabriqués sous forme de structures monolithiques interdigitées sur des substrats en céramique qui utilisent les principes de propagation et d'interférence des ondes d'énergie acoustique (Figure 3).

Figure 3 : Les filtres SAW, comme le SF14-1575F5UUA1 de Kyocera, sont fabriqués sous forme de structures monolithiques interdigitées sur des substrats en céramique qui utilisent les principes de propagation et d'interférence des ondes d'énergie acoustique. (Source de l'image : Kyocera Corp.)

Conçu pour les applications GPS, le SF14-1575F5UUA1 affiche une fréquence centrale de 1,575 GHz, une largeur de bande de 3 MHz et une perte d'insertion de 1,4 dB. Il est fourni dans un boîtier 5-CMS sans sorties avec des dimensions globales de 0,7 mm x 0,055 mm x 0,043 mm.

Ses fonctions de transfert montrent qu'il peut fournir un filtrage précis avec d'excellentes caractéristiques de planéité de bande passante (Figure 4). Grâce à ces caractéristiques, il constitue une solution d'avenir permettant d'aller au-delà des filtres à constantes localisées.

Figure 4 : La fonction de transfert du SF14-1575F5UUA1 présente une bande passante étroite de 3 MHz, de 1573,92 à 1576,92 MHz, ainsi qu'une variation minimale de la bande passante (et donc une planéité élevée) de seulement 0,6 dB. Le filtre se distingue également par une perte d'insertion modeste de 1,4 dB sur la bande passante. (Source de l'image : Kyocera Corp.)

De plus, alors que les dispositifs SAW basiques et ceux compensés en température (TCSAW) atteignent les limites de leurs capacités aux alentours de 2 à 3 GHz, les dispositifs BAW (à ondes acoustiques de volume) qui utilisent des principes proches de ceux des dispositifs SAW sont disponibles pour la plage de fréquences supérieure, les conceptions 5G étant à l'origine d'une grande partie de la demande et des avancées (Figure 5).

Figure 5 : Les dispositifs SAW sont exploitables jusqu'à environ 2 GHz, au-delà de quoi il est possible d'utiliser les dispositifs BAW, jusqu'à environ 6 GHz. (Source de l'image : TDK)

Quelle sera la prochaine étape du filtrage, lorsque les dispositifs BAW auront atteint leurs limites ou lorsque les concepteurs travailleront sur la 6G, la 7G et au-delà ? Difficile de prédire l'avenir, bien sûr, mais les filtres optiques électroacoustiques qui utilisent des matériaux gravés, comme le niobate de lithium, pourraient offrir des solutions. Actuellement étudiés dans des laboratoires de recherches universitaires, ces dispositifs font appel à un mélange d'énergie acoustique et optique, que l'on considère généralement comme deux formes disparates de transfert d'énergie sans point commun l'une avec l'autre. Cependant, les chercheurs étudient des moyens de les faire fonctionner en symbiose pour fournir des filtres électriques et autres fonctionnant dans le spectre des centaines de gigahertz et même des térahertz.

Conclusion

Dans quelques années, les programmes d'enseignement en génie électrique pourraient bien comporter un volet important consacré à l'électro-optique et à la physique optique, à la place de la section classique et réduite sur les filtres à constantes localisées. Les étudiants regretteront-ils l'absence de cours d'analyse dédiés aux filtres classiques ? Probablement pas. Se plaindront-ils plutôt de la physique acoustique et optique qui aura pris leur place ? Très certainement, car ce sont des disciplines complexes à leur façon. Voilà qui pourrait illustrer l'expression : « Faites attention aux vœux que vous faites, car ils pourraient bien se réaliser ! »

Lectures recommandées :

1 – Article relatif à la manière dont les filtres SAW sauvent les produits sans fil des implémentations discrètes peu pratiques

https://www.digikey.fr/fr/articles/saw-filters-rescue-wireless-products-from-impractical-discrete-implementations

2 – Article relatif aux filtres fixes et programmables pour les conceptions RF

https://www.digikey.fr/fr/articles/fixed-and-programmable-filters-for-rf-designs

3 – Article relatif aux filtres Pi et en T adaptés aux impédances RF

https://www.digikey.fr/fr/articles/pi-t-filters-match-rf-impedances

À propos de l'auteur

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Bill Schweber est ingénieur en électronique. Il a écrit trois manuels sur les systèmes de communications électroniques, ainsi que des centaines d'articles techniques, de chroniques et de présentations de produits. Il a auparavant travaillé en tant que responsable technique de site Web pour plusieurs sites spécifiques pour EE Times et en tant que directeur de publication et rédacteur en chef des solutions analogiques chez EDN.

Chez Analog Devices, Inc. (l'un des principaux fournisseurs de circuits intégrés analogiques et à signaux mixtes), Bill a œuvré dans le domaine des communications marketing (relations publiques). Par conséquent, il a occupé les deux côtés de la fonction RP technique : présentations des produits, des récits et des messages de la société aux médias, et destinataire de ces mêmes informations.

Avant d'occuper ce poste dans les communications marketing chez Analog, Bill a été rédacteur en chef adjoint de leur revue technique respectée et a également travaillé dans leurs groupes de marketing produit et d'ingénierie des applications. Avant d'occuper ces fonctions, Bill a travaillé chez Instron Corp., où il était chargé de la conception de circuits analogiques et de puissance, et de l'intégration de systèmes pour les commandes de machines de test de matériaux.

Il est titulaire d'un master en génie électrique (Université du Massachusetts) et d'un baccalauréat en génie électrique (Université Columbia). Il est ingénieur professionnel agréé, titulaire d'une licence de radioamateur de classe avancée. Bill a également organisé, rédigé et présenté des cours en ligne sur divers sujets d'ingénierie, notamment des notions de base sur les MOSFET, la sélection d'un CAN et la commande de LED.

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